Bécassine a 100 ans

Le personnage de Bécassine (Annaïck Labornez)
voit le jour le
2 février 1905,
dans " La semaine de Suzette ".

Avec elle, on traverse le siècle, on vit
- la crise de 29,
- l'exode rural,
le Front populaire,
- la guerre et la Résistance.
Mais qui est-elle ?,

Couverture de 1929

La Semaine de Suzette, revue pour enfants, fut fondée en 1905 par Henri Gautier,
au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

L’éditeur donna le ton avant son lancement :
- « La Semaine de Suzette sera le complément récréatif d’une éducation religieuse et intelligente ».
L’objectif de la revue :
divertir, amuser instruire au travers de romans-feuilletons, contes, histoires illustrées,
jeux, concours, pièces de théâtre, poésies,
jeux d’intérieur et d’extérieur, ouvrages de couture, recettes de cuisine…
tout en inculquant civisme, morale et charité.

Le journal paraissait le jeudi et durant ses 55 ans de parution,
de 1905 à 1960 avec une interruption de 6 ans au moment de la guerre,
La Semaine de Suzette eut plusieurs centaines de milliers d’abonnés.

Couverture de 1950

.Cette petite bonne bretonne naïve,
pleine de bonne volonté et d’énergie
est née de la plume de
Jacqueline Rivière
et reprise dès 1913 par celle de l’éditeur
Maurice Languereau
connu sous le pseudonyme de Caumery.
Le principal dessinateur qui croqua cet attachant personnage est
Emile Joseph Porphyre Pinchon.

Toujours en phase avec son époque,
Bécassine sera tour à tour aviatrice, institutrice, alpiniste et,
dès 1921, nourrice de la célèbre Loulotte.
Loulotte
Elle fera l’objet, à partir de 1913, d’une série de 27 albums dessinés
par
Pinchon et écrits par Caumery,
dont le premier est «
L’enfance de Bécassine ».
Première héroïne féminine de Bande Dessinée,Bécassine a su dépasser ce cadre pour devenir un mythe intemporel.
Bretonne dans son costume…

Bécassine porte un costume breton que nous reconnaissons tous aujourd’hui :
robe vert sombre ouverte sur une guimpe blanche et un corselet rouge,
vaste jupe, larges manches bordées de velours noir, tablier, coiffe blanche,
... avec le baluchon classique du paysan sans fortune,
ficelé dans un grand mouchoir à carreaux.
Elle garde le contact avec sa famille bretonne,
notamment avec ses jeunes cousins Yann (bien mal élevé)
et Dindonnette (une petite sotte illettrée,qui porte le même costume breton que Bécassine
et qui trouve une place de bonne d’enfants).

L'héroïne est une petite Bretonne qui, venant chercher du travail à Paris,

la Marquise de Grand Air trouve une place de bonne d'enfant chez la marquise de Grand'Air

Le statut de Bécassine évoluera vers celui de gouvernante Loulotte

 

.et de conseillère de sa maîtresse
(dans
Bécassine fait du tourisme, cette dernière insiste auprès d'un maître d'hôtel
pour que " Mademoiselle Bécassine " mange à sa table et non à celle des domestiques)
mais le personnage demeure caractérisé par un dévouement aveugle.

La Bécassine des premiers albums se singularise par une naïveté qui confine à la bêtise et qui repose sur trois piliers :
- sa mauvaise maîtrise de la langue française - qui fait qu'elle prend un mot pour un autre ou une expression imagée au pied de la lettre -,
- sa méconnaissance des usages sociaux et son ignorance des machines modernes.
On comprend que le personnage suscite l'attachement d'enfants qui, eux-mêmes, découvrent le monde :
il y a quelque chose du roman d'apprentissage dans ces mésaventures constamment surmontées.
Au fil des albums, de sa naissance en 1885 près de Quimper, à son travail de nourrice à Paris,

elle a traversé bien des pays et des époques et aujourd'hui
on pourrait presque faire des cours d'histoire et de géographie rien qu'en suivant ses aventures.
L'histoire de la France, mais aussi l'histoire des technologies,
l'histoire des français, des ouvriers, des marquises.

Même si on a accusé, et si on accuse encore,
les auteurs de Bécassine de caricaturer tous les personnages,
il n'en reste pas moins que ces albums peuvent servir à montrer
un certain éclairage de la France à cette époque.
.
Les albums de Bécassine reflètent par ailleurs un apprentissage de la modernité :
-
L'automobile de Bécassine ou Bécassine en aéroplane évoquent la confrontation de la bourgeoisie de l'entre-deux guerres à de nouvelles techniques ;
-
Bécassine aux bains de mer ou Bécassine fait du scoutisme signent l'appropriation de nouvelles pratiques sociales ;
-
Bécassine mobilisée et Bécassine chez les Alliés permettent de penser les événements contemporains.
Le personnage renvoie par ailleurs à un contexte social précisément daté.

L'émigration bretonne est particulièrement importante dans les premières années du XXe siècle et nombreuses sont les jeunes filles qui se placent comme domestiques et bonnes d'enfant.

 

 

Bécassine est en effet le porte-drapeau de ces Bretonnes immigrées à Paris à cause de la misère.
Ces bretonnes rencontrent d'importants problèmes d'intégration dans la capitale car elles ne parlent que breton et souffrent d'un complexe d'infériorité.
Ce complexe vient du fait que la République ne reconnaît pas la diversité linguistique et qu'elle a décidé d'éradiquer les langues régionales de l'hexagone.
Pour cela Le ministère de l'Instruction Publique a mis en place un formidable outil à son service :
l'école obligatoire dans laquelle les hussards noirs de la République vont interdire l'usage de la langue bretonne (et des autres langues régionales) en utilisant la honte.
Honte à celui qui sera pris à parler breton, il portera le symbole (sabot de bois ou bonnet d'âne).

Les servantes bretonnes et la population bretonne ont souffert dans leur globalité de cette politique linguistique française entamée sous la IIIè République
et poursuivie sous la IVème et Vème République.
Le personnage de Bécassine n'a pas de bouche, en effet il ne parle pas français !

Bécassine est la risée de la bourgeoisie parisienne des années 1900, qui souvent exploite ses servantes, corvéables à merci
et dont les conditions de travail et de vie sont souvent très difficiles.

Alors doit-on célébrer ce personnage qui reflète une vision coloniale de la France du début du XXème siècle ?